La relation étroite qui lie ces étonnantes plantes à fleurs à leurs insectes pollinisateurs dure depuis au moins quinze à vingt millions d’années.
Il y a quinze et peut-être vingt millions d’années, les abeilles butinaient déjà les fleurs d’orchidées ! Une équipe de chercheurs américains, brésiliens et hollandais publie, en effet, dans la revue Nature datée de ce jour, de saisissantes photos d’une abeille fossilisée dans de l’ambre, portant sur son dos un amas de pollen prélevé sur une espèce d’orchidée jusqu’alors inconnue des botanistes, Meliorchis caribea.
La découverte de ce spécimen exceptionnel, dans une mine située à l’est de la ville de Santiago, en République dominicaine, dans des gisements de lignite datant du Miocène (entre 15 et 20 millions d’années), est intéressante à double titre. Tout d’abord, et bien qu’il s’agisse de la famille de plantes à fleurs la plus représentée sur Terre, avec près de 20 000 espèces recensées, c’est la première fois que des paléontologues réussissent à mettre la main sur un fossile d’orchidée dont l’identité est attestée sans ambiguïté. D’autres fossiles présumés ont bien été exhumés par le passé, mais tous étaient plus ou moins sujets à caution. Ensuite, l’observation d’une interaction aussi ancienne entre une plante et son pollinisateur est un fait sans précédent. Elle montre que la coévolution entre ces deux groupes d’organismes vivants, eux-mêmes très évolués, est un phénomène très ancien et encore énigmatique. « Ce qui me plaît dans ce travail, c’est de voir que cette nouvelle espèce d’orchidée a été identifiée à partir de l’étude morphologique de ses grains de pollen et de leur position sur l’abeille », souligne Marc Pignal, botaniste au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.
Les orchidées sont en effet les seules plantes dont les grains de pollen sont réunis en deux petits paquets, appelés pollinies, qui vont se coller sur le dos du premier insecte venu se gorger de nectar. Ce dernier, en allant visiter une autre fleur, sera délesté d’une partie de son chargement, permettant ainsi la fécondation. Les modalités de l’échange varient bien sûr d’une orchidée à l’autre, chaque fleur étant visitée par un type d’insecte bien particulier. Dans le cas présent, l’abeille piégée dans l’ambre fossile est une ouvrière d’une espèce éteinte, Proplebeia dominicana, qui avait la particularité de ne pas posséder de dard.
Un boom spectaculaire
L’équipe dirigée par Santiago Ramirez, de l’université Harvard (États-Unis), a montré que les grains de pollen retrouvés sur le spécimen avaient des caractéristiques (taille, forme, ornementation) semblables à celles d’une sous-tribu d’orchidées, les goodyerinae, dont M. caribea faisait donc partie.
Mais la position des pollinies sur le dos de l’abeille fossilisée est atypique. « Chez les goodyerinae actuelles, les pollinies adhèrent aux mandibules de l’insecte », note les auteurs qui en concluent que la fleur de M. caribea était probablement « en forme de gosier » de façon à permettre à « la partie antérieure du corps de l’abeille de pénétrer entièrement à l’intérieur de la fleur. »
La datation précise de leur nouvelle orchidée a également permis aux auteurs de revisiter l’histoire évolutive de cette illustre famille de plantes, insuffisamment connue du fait de l’absence de fossiles.
D’après leurs calculs, le « plus récent ancêtre commun » des orchidées actuelles vivait au Crétacé supérieur entre -84 et -76 millions d’années. En outre, la famille des orchidées aurait connu un boom spectaculaire, avec l’apparition d’un grand nombre de nouvelles lignées peu de temps après l’extinction de masse survenue à la limite du Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d’années au cours de laquelle les dinosaures et un très grand nombre d’espèces vivantes ont été définitivement rayés de la carte. Autant de résultats qui plaident pour une origine ancienne des orchidées, mais qui demandent à être confirmés par la découverte… de nouveaux fossiles.
MARC MENNESSIER
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